Le Vrai Message de Feraoun

Le 19/05/2023

Le tout nouveau 2A Magazine, La voix des non Alignés, à la une de son numéro 1, Le Vrai Message de Feraoun.

L’ŒUVRE DE MOULOUD FERAOUN A ÉTÉ CENSURÉE PAR LES AUTORITÉS COLONIALES QUI Y VOYAIENT UNE CRITIQUE DE LEUR POLITIQUE. SES ENFANTS NOUS INVITENT À RELIRE DEUX DE SES OUVRAGES, MARQUANTS PAR LEUR RÉALISME SOCIAL ET LEUR ENGAGEMENT POUR LA JUSTICE ET LA LIBERTÉ.

Deux romans de l’écrivain reparaissent cette année qui précisent
non seulement son projet littéraire, mais témoignent aussi de l’attachement de l’homme pour la liberté : du Fils du pauvre (son premier, dans sa version originale) à La cité des roses
(son dernier, augmenté d’une post-face), l’occasion nous est donnée de suivre les révolutions qu’il a tracées, son idéal en prise avec la réalité de son époque et brisé par un destin tragique.

Qu’apporte la lecture du texte original du Fils du pauvre ?

Fazia Feraoun : La version que nous proposons est vraiment diff érente. Le texte voulu par Le Seuil en 1954 raconte l’histoire d’un enfant pauvre qui, passant par l’école française, par- vient à s’en sortir socialement – dans cette édition, le jeune Fouroulou finit le livre dans la perspective d’être instituteur, et c’est tout. Or le ma-
nuscrit original, paru quatre ans plus tôt, raconte son parcours à l’École normale mais surtout les années de la Seconde Guerre mondiale. Dans cette partie retirée par l’éditeur, Feraoun montre que les Français sont en déroute devant Hitler, qu’ils ne sont pas si forts que cela. Ils peuvent donc être vaincus puisqu’ils l’ont été
par les Allemands.

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Quelle est donc la problématique posée par Feraoun ?


F. F. : Feraoun montre les effets dévastateurs de la colonisation : la misère bien sûr, mais aussi la dissolution de l’organisation sociale kabyle...

...La colère est là, qui prend sa source

...À la dernière page qui traite du massacre de civils manifestant en mai 1945 pour demander l’indépendance, on peut lire en substance cette interrogation de l’auteur : va-t-on continuer à se laisser faire ainsi ?

...Dès 1948, Feraoun dénonçait la situation du colonisé et concluait à la nécessité de lutter contre les Français pour obtenir sa liberté.

...Le fils du pauvre est un livre où Feraoun observe assidûment tout ce qui l’entoure. « Je [l’ai] écrit pendant les années sombres de la guerre, à la lumière d’une lampe à pétrole. J’y ai mis le meilleur de mon être », dit-il.

...il affiche toujours cette distanciation avec les Français, que les professeurs favorisent : « Les Français des petites villes méprisent l’indigène, ils veulent à toute force former une caste à part et ne pas voir les autres. » Feraoun choisit de retourner au village vivre par-
mi les siens parce qu’il ne se sentait pas intégrable.

...Le fils du pauvre a toujours été donné en modèle d’une écriture fa-
cile à comprendre, d’un style académique. Etsuko Aoyagi explique que déjà à l’époque, ce texte est moins simple qu’il ne paraît.

 

 

 

 

Ali Feraoun Avec Etsuko Aoyagi

-   Ali Feraoun avec Etsuko Aoyagi   -

 

 

 

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Ali Feraoun : Autre point relevé aussi bien par l’Américaine Lucy
McNair que par la Japonaise Etsuko Aoyagi, une cinquantaine de
mots et membres de phrase ont été changés ou adoucis par Le Seuil, pour faire du Fils du pauvre un ouvrage adossé au folklore que la France affectionnait : l’enfant grandit pendant l’entre-deux-guerres avec des potières et des tisseuses, mange des figues et
du couscous d’orge, part à l’école, devient bon élève parce qu’il voit
que son père s’intéresse à son travail scolaire, puis il obtient une bourse… Le père va voir son fi ls pour le soutenir à la veille de son examen, car il sait bien la valeur de l’école qui lui a
coûté tant de sacrifi ces. Il lui dit : « Si on ne te retient pas, ton instruction est à toi, on ne te l’enlèvera jamais. » Et le fi ls de répondre : « Tu diras là-haut que je n’ai pas peur. » Et l’histoire se
termine ainsi. Comme le titre du livre porte la mention « Menrad,
instituteur kabyle », le lecteur en déduit que grâce à l’école française, le pauvre a réussi puisqu’il est devenu
instituteur. L’éditeur coupe ce qui vient après, les pages qui fâchent…

F. F. : La censure intervient également au cœur du roman. Dix-huit passages ont été supprimés, notamment des réfl exions philosophiques.

 

 

 

 

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Vous rééditez La cité des roses avec une
postface d’Etsuko Aoyagi. Pourquoi ?

Fort à propos, Etsuko Aoyagi, qui travaillait à la traduction du Fils du
pauvre en langue japonaise, a été amenée à faire une analyse approfondie de cette œuvre dans le cadre de son cursus universitaire et propose dans cette postface une explication méthodique.

... la postface revient sur l’apparente complexité du livre.

...Etsuko Aoyagi explique que cette confusion est parfaitement
voulue par Feraoun. Au moment de la guerre, la situation est elle-
même très désordonnée, chaotique : on ne sait pas qui est qui et, dans un monde d’adversité où personne n’est à l’aise, on n’arrive pas à réfléchir. Cette confusion est sciemment intégrée dans le style.

...L’universitaire japonaise souligne que l’écrivain finit son ouvrage en disant qu’il choisit le changement. Changer pour quoi ? Vers où ? On ne sait pas, vers peut-être quelque chose de pire, mais même dans cette situation très trouble, Feraoun accepte d’aller vers ce quelque chose de pire, du moment qu’il permet de sortir de cette
ambiance invivable.

...Mais plus subtil encore, dans La cité des roses, l’écrivain travaille à une écriture très élaborée qui traite du mouvement ou de la construction de la pensée. La réfl exion de l’homme suppose des
retours en arrière, vers ses souvenirs, puis des projections vers l’avant.

A. F. : Sa postface présente enfin un intérêt majeur puisqu’en replaçant La cité des roses dans l’œuvre de Feraoun, elle en montre toute l’unité. C’est bien l’objectif de cette double réédition, rétablir son œuvre dans sa réalité, sa vérité.

 

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