L’ŒUVRE DE MOULOUD FERAOUN A ÉTÉ CENSURÉE PAR LES AUTORITÉS COLONIALES QUI Y VOYAIENT UNE CRITIQUE DE LEUR POLITIQUE. SES ENFANTS NOUS INVITENT À RELIRE DEUX DE SES OUVRAGES, MARQUANTS PAR LEUR RÉALISME SOCIAL ET LEUR ENGAGEMENT POUR LA JUSTICE ET LA LIBERTÉ.
Deux romans de l’écrivain reparaissent cette année qui précisent
non seulement son projet littéraire, mais témoignent aussi de l’attachement de l’homme pour la liberté : du Fils du pauvre (son premier, dans sa version originale) à La cité des roses
(son dernier, augmenté d’une post-face), l’occasion nous est donnée de suivre les révolutions qu’il a tracées, son idéal en prise avec la réalité de son époque et brisé par un destin tragique.
Qu’apporte la lecture du texte original du Fils du pauvre ?
Fazia Feraoun : La version que nous proposons est vraiment diff érente. Le texte voulu par Le Seuil en 1954 raconte l’histoire d’un enfant pauvre qui, passant par l’école française, par- vient à s’en sortir socialement – dans cette édition, le jeune Fouroulou finit le livre dans la perspective d’être instituteur, et c’est tout. Or le ma-
nuscrit original, paru quatre ans plus tôt, raconte son parcours à l’École normale mais surtout les années de la Seconde Guerre mondiale. Dans cette partie retirée par l’éditeur, Feraoun montre que les Français sont en déroute devant Hitler, qu’ils ne sont pas si forts que cela. Ils peuvent donc être vaincus puisqu’ils l’ont été
par les Allemands.
Quelle est donc la problématique posée par Feraoun ?
F. F. : Feraoun montre les effets dévastateurs de la colonisation : la misère bien sûr, mais aussi la dissolution de l’organisation sociale kabyle...
...La colère est là, qui prend sa source
...À la dernière page qui traite du massacre de civils manifestant en mai 1945 pour demander l’indépendance, on peut lire en substance cette interrogation de l’auteur : va-t-on continuer à se laisser faire ainsi ?
...Dès 1948, Feraoun dénonçait la situation du colonisé et concluait à la nécessité de lutter contre les Français pour obtenir sa liberté.
...Le fils du pauvre est un livre où Feraoun observe assidûment tout ce qui l’entoure. « Je [l’ai] écrit pendant les années sombres de la guerre, à la lumière d’une lampe à pétrole. J’y ai mis le meilleur de mon être », dit-il.
...il affiche toujours cette distanciation avec les Français, que les professeurs favorisent : « Les Français des petites villes méprisent l’indigène, ils veulent à toute force former une caste à part et ne pas voir les autres. » Feraoun choisit de retourner au village vivre par-
mi les siens parce qu’il ne se sentait pas intégrable.
...Le fils du pauvre a toujours été donné en modèle d’une écriture fa-
cile à comprendre, d’un style académique. Etsuko Aoyagi explique que déjà à l’époque, ce texte est moins simple qu’il ne paraît.
- Ali Feraoun avec Etsuko Aoyagi -