Menrad, modeste instituteur du bled kabyle, vit « au milieu des aveugles ». mais il ne veut pas se considérer comme roi. D’abord, il est pour la démocratie ; ensuite, il a la ferme conviction qu’il n’est pas un génie.
Pour arriver à avoir une opinion si désastreuse de lui-même, il lui a fallu plusieurs années. Cela ne diminue pas son mérite. Au contraire.
Dès sa première année dans l’enseignement, ses études terminées, il confie à son journal – car il en a un - : « Lorsque je rentre en moi-même et que je considère ma situation en fonction de ma valeur, je conclus amèrement : je suis lésé, le manque de moyens est un obstacle bien perfide. Ma conclusion ne s’arrête pas là pourtant ! Puisque je me sens une intelligence si vive, avec les vieux livres et les vieux cahiers, rien ne dit que je n’irais pas loin... » « ça y est, la décision est prise, la réussite est certaine. A mesure que je savoure une étude élémentaire sur Ronsard et la pléade, ma décision s’affermit, l’examen à affronter se fait plus accessible. »
Menrad était ambitieux. Il se moquait de son ambition. Il comprenait, le malheureux, que s’il cherchait à planer comme un aigle, il ne ferait que patauger comme un canard.
Il se résigna donc à être simplement instituteur, dans un village comme celui qui l’a vu naître, dans une école à une classe, au milieu de tous les paysans ses frères, supportant avec eux les tourment de l’existance, l’âme parfaitement calme et attendant comme eux, avec un fatalisme indifférent et une certitude absolue – il le dit – le jour ou il entrera au paradis de Mahomet.